Tribune conjointe par Kaysuya Okada, ministre japonais des affaires étrangères, Charles Michel, ministre belge de la coopération au développement et Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes (1er septembre 2010)
« Connaissez-vous les réalités du monde d’aujourd’hui ? Un milliard de personnes n’a pas accès à l’eau potable ; un milliard de personnes souffre de la faim ; près d’un million de personnes meurt chaque année du paludisme, 1,3 millions de la tuberculose, deux millions du sida, et la pauvreté empêche quelque 72 millions d’enfants d’aller à l’école et de réaliser leur potentiel.
Pour venir à bout de ces déséquilibres, les Nations unies ont énoncé les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) que la communauté internationale doit atteindre d’ici à 2015. Pour répondre aux besoins mondiaux du développement, nous devons mobiliser des moyens financiers durables, prévisibles et complémentaires de l’aide publique au développement traditionnelle. Face à l’urgence, nous devons agir.
Les financements innovants existent déjà : la taxe sur les billets d’avion, qui finance l’accès à des traitements médicaux de base, par l’intermédiaire du fonds UNITAID ; l’initiative IFFim qui permet de lever à court terme des fonds garantis par les Etats pour financer des campagnes de vaccination massives (GAVI). Ces mécanismes permettent de lutter contre les trois grandes pandémies (VIH/sida, tuberculose et paludisme).. Ils ont déjà donné des résultats remarquables. D’autres mécanismes, comme des contributions volontaires, sous forme de dons de particuliers, de consommateurs et d’entreprises peuvent aussi permettre de mobiliser des ressources.
En novembre 2008, la Conférence de Doha a appelé le monde à "changer d’échelle" en matière de financements innovants pour le développement : nous sommes maintenant en mesure d’expérimenter ces nouveaux instruments, assis sur des activités mondialisées ; des financements reposant sur une assiette large et qui pourraient, via une contribution infime et répétée sur de nombreuses opérations, changer l’échelle de l’espoir, si leur emploi est bien coordonné.
En septembre aux Nations unies, lors du sommet sur les Objectifs du Millénaire pour le développement, nous serons là pour convaincre de l’intérêt des financements innovants, dont le succès a d’ores et déjà permis de rassembler plus de 3 milliards de dollars depuis 2006.
Cette mobilisation en faveur des financements innovants pour le développement, que la France promeut depuis l’origine, il nous faut la porter désormais sur la scène politique internationale, avec les 60 Etats membres du Groupe pilote, sous la présidence du Japon - qui organisera en décembre la huitième réunion plénière - et avec la Présidence belge de l’Union européenne - qui a décidé d’inscrire ce sujet à l’ordre du jour du Conseil européen-.
En octobre 2009, nos trois pays s’étaient associés à une dizaine d’autres, avec un objectif : parvenir à une analyse partagée de ce qui est faisable, faire des propositions concrètes et réalistes.
Nous avons sollicité les meilleurs spécialistes de ces questions : juristes, économistes, chercheurs, et même banquiers, pour analyser différentes options. Ils nous ont proposé plusieurs mécanismes de taxations financières qui ne se limitent pas aux seuls mouvements de change et nous ont fourni des estimations de revenu crédibles. Leur travail est désormais disponible dans un rapport solide et documenté.
Ce rapport d’expertise complète et actualise d’autres analyses menées régulièrement et depuis de nombreuses années, des Nations unies à la Commission européenne, du rapport Landau aux analyses du FMI...
Une fois de plus, il fait la démonstration que la faisabilité technique n’est plus enjeu de débat. Tant mieux !
Après d’autres études, ce rapport confirme à son tour que le secteur financier est l’un des principaux bénéficiaires de la croissance de l’économie mondiale, avec des flux financiers multipliés par sept depuis le début de la décennie. Le rapport ajoute que le volume mondial des opérations de change dans le monde est de l’ordre de 3 600 milliards de dollars par jour, celui de l’ensemble des transactions (obligations, actions, dérivés) étant plus élevé encore (210 milliards de dollars par jour pour les obligations et 800 milliards pour les actions).
Appliquée par exemple aux opérations de change, une contribution de 5 centimes pour 1 000 dollars échangés pourrait rapporter plus de 30 milliards de dollars de recette par an.
Le véritable défi aujourd’hui est d’imaginer un dispositif de distribution innovant, fondé sur des critères d’affectation et de gouvernance des fonds à la pointe de l’exigence. Il est temps d’agir, et surtout d’agir de façon exemplaire. »
Le 8 septembre 2010